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Type de textesource
TitreL’Art de Peinture de Charles-Alphonse Du Fresnoy, traduit en François, avec des remarques necessaires et tres-amples
AuteursPiles, Roger de
Date de rédaction
Date de publication originale1668
Titre traduit
Auteurs de la traduction
Date de traduction
Date d'édition moderne ou de réédition
Editeur moderne
Date de reprintReprint Genève, Minkoff, 1973.

, p. 63-64

Alexandre n’avoit pas de plus sensible plaisir, que lorsqu’il estoit dans l’attelier d’Apelle, où on le trouvoit presque toûjours; et ce peintre receut un jour une marque très sensible de son amitié et de la complaisance qu’il avoit pour luy :[[1:Pline liv. 35. c. 10]] Car luy ayant fait peindre toute nuë (à cause de son admirable beauté) l’une de ses concubines qu’on appelloit Campaspe, et celle de toutes les autres à qui il avoit donné plus de part dans son cœur ; et s’étant aperçu qu’elle avoit frappé d’un même trait celui d’Apelle, il lui en fit un present.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, p. 148-149

Mais dans la liberté du celibat. On ne voit jamais des fruits d’une beauté fort grande ny d’un goust fort exquis, lesquels viennent d’un arbre entouré de broussailles et d’épines. Le mariage nous attire des affaires, nous fait naistre des procez, et nous charge de mille soins domestiques, qui sont autant d’épines qui environnent le peintre, et qui l’empeschent de produire des ouvrages dans la perfection dont il seroit capable. Raphaël, Michelange, et Annibal Carache ne se sont jamais mariez ; et de tous les peintres de l’Antiquité on ne voit pas dans les autheurs qu’aucun ait pris femme, si ce n’est Apelle, à qui le Grand Alexandre fit present de Campaspe sa maîtresse. Ce qui soit dit sans conséquence du Sacrement de Mariage, qui attire beaucoup de benedictions dans les familles par les soins d’une bonne femme. Si le mariage est un remede contre la concupiscence, il l’est doublement à l’égard des peintres, qui sont plus souvent dans les occasions du peché que d’autres, à cause du besoin qu’ils ont de voir le naturel. Que chacun examine ses forces là-dessus, et qu’il prefere l’interest de son ame à celuy de son art et de sa fortune.

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, p. 143-144

Tirez votre profit des gens doctes, et ne méprisez pas avec arrogance d’apprendre, etc. Parrasius et Cliton se trouverent fort obligez à Socrate des avis qu’il leur donna sur les Passions. Voyez le dialogue qu’ils font ensemble dans Xenophon sur la fin du 3.l de ses Memoires. Ceux qui souffrent plus volontiers d’estre repris (dit Pline le jeune), sont ceux-là mesme en qui l’on trouve beaucoup plus à loüer qu’aux autres. Lysippus estoit ravi qu’Apelle lui dit son sentiment, comme Apelle recevoit celuy de Lysippus avec plaisir. Ce que dit Praxitele de Nicias dans Pline, est d’un esprit bien fait et bien humble. Praxitele interrogé lequel de tous ses ouvrages il estimoit le plus, ceux, dit-il, que Nicias a retouchez ; tant il faisoit cas de sa critique et de son sentiment. Vous savez ce qu’Apelle faisoit quand il avoit achevé quelque ouvrage. Il l’exposoit aux passans, et se cachoit derrière, pour écouter ses défauts, dans la pensée d’en profiter quand on les luy auroit fait connoistre, sçachant bien que le peuple les examineroit plus rigoureusement que luy, et ne pardonneroit pas le moindre faute. Les sentiments et les conseils de plusieurs ensemble sont toujours preferables à l’avis d’une seule personne ; et Ciceron [[1:Tusc. l. 5]] s’étonne comme il y en a qui s’enyvrent de leurs productions, et qui se disent l’un à l’autre, Hé bien, si vos ouvrages vous plaisent, les miens ne me déplaisent pas. En effet, il y en a beaucoup qui par presomption ou par honte d’estre repris, ne font pas voir leur ouvrage : mais il n’y a rien de pire ; [[1:Virg. 3. Georg]] car le vice se nourrit et s’augmente quand on le tient caché. Il n’y a que les fous (dit Horace) à qui la honte fait celer leurs ulceres, au lieu de les montrer, pour les faire guerir.

[[1:L. I. ep. 26]] Stultorum incurata malus pudor ulcera celat.

Il y en a d’autres qui n’ont pas tout à fait cette sotte pudeur, et qui demandent le sentiment d’un chacun avec prieres et avec instance : mais si vous leur dites ingenuëment leurs deffauts, ils ne manqueront pas aussi-tost d’en donner quelque mauvaise excuse, ou qui pis est, de vous sçavoir un fort mauvais gré du service que vous avez crû leur rendre, et qu’ils ne vont ont demandé que par grimace et par une certaine coûtume établie parmi la pluspart des peintres. Si vous voulez vous mettre en quelque estime, et vous acquerir de la reputation par vos ouvrages, il n’y en a pas un meilleur moyen, que de les faire voir aux personnes de bon sens, et principalement à ceux qui s’y connoissent, et recevoir leur avis avec la mesme douceur et la mesme sincerité que vous les avez priez de vous le dire. Vous devez mesme estre industrieux pour découvrir le sentiment de vos ennemis, qui est pour l’ordinaire le plus veritable : car vous devez estre asseuré qu’ils ne vous pardonneront pas, et qu’ils ne donneront rien à la complaisance.

Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)

, p. 112

Et de la Grace. Il est assez difficile de dire ce que c’est que cette Grace de la peinture : on la conçoit et on la sent bien mieux qu’on ne la peut expliquer. Elle vient des lumieres d’une excellente nature, qui ne se peuvent acquerir, par lesquelles nous donnons un certain tour aux choses qui les rendent agreables. Une figure sera desseignée avec toutes ses proportions, et aura toutes ses parties regulieres, laquelle pour cela ne sera pas agreable, si toutes ces parties ne sont mises ensemble d’une certaine maniere qui attire les yeux, et qui les tienne comme immobiles. C’est pourquoy il y a difference entre la Beauté et la Grace, et il semble qu’Ovide les ait voulu distinguer, quand il a dit parlant de Venus, Multaque cum Forma Gratia mista fuit. Il y avoit beaucoup de Grace mélée avec la Beauté. Et Sueton parlant de Neron dit, Qu’il estoit beau plustost qu’agreable. Vultu pulchro magis quam venusto. Et combien voyons-nous de personnes belles qui nous plaisent beaucoup moins que d’autres qui n’ont pas de si beaux traits. C’est par cette Grace que Raphaël s’est rendu le plus celebre de tous les Italiens, de mesme qu’Apelle l’a esté de tous les Grecs.

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

, p. 158

Une certaine Grace qui luy estoit toute particuliere. Raphaël est comparable en cela à Apelle, qui en loüant les ouvrages des autres, disoit, que cette Grace leur manquoit, et qu’il voyoit bien qu’il n’y avoit que lui seul qui l’eust en partage. Voyez sa remarque sur le 218e vers.

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

, p. 108-109

Mais que l’ouvrage ne soit pas trop enrichi d’or ni de pierreries. Clement d’Alexandrie [[1:Lib. II Paedag. cap. 12]] rapporte, qu’Apelle ayant veu une Helene, qu’un jeune homme de ses disciples avoit faite, et avoit ornée de quantité d’or et de pierreries, luy dit : O mon amy, ne l’ayant pû faire belle, tu n’as pas manqué de la faire bien riche. Outre que les choses brillantes en peinture, comme les pierreries semées avec profusion sur les habits, se nuisent les unes aux autres, parce qu’elles attirent la veüe en trop d’endroits en même temps, et qu’elles empeschent les corps ronds de tourner, et de bien faire leur effet, c’est que la quantité fait ordinairement juger qu’elles sont fausses ; et il est à presumer que les choses precieuses sont toujours rares. Corinna cette sçavante thébaine reprochant un jour à Pindare [[1:Plutarque sur les Lettres et les armes des Athéniens]] (lequel elle avoit vaincu cinq fois en poësie) qu’il répandoit trop indifferemment et partout dans ses oeuvres les Fleurs du Parnasse, luy dit, qu’on semoit avec la main, et non pas avec tout le sac. C’est pourquoy le peintre doit orner les vestements avec une grande prudence : et les pierreries font extremement bien, quand elles sont sur des endroits que l’on veut tirer hors de la toile, comme sur une epaule ou sur un bras, pour lier quelque draperie, qui d’elle-mesme ne sera pas de couleur fort sensible : elles font encore parfaitement bien avec le blanc et les autres couleurs legeres, que l’on peut tenir sur le devant ; parce que les pierreries sont sensibles et petillantes par l’opposition du grand clair et du grand brun qui s’y rencontrent.

Dans :Apelle : Hélène belle et Hélène riche(Lien)

, p. 73-74

La peinture est un long pelerinage ; vous avez beau faire tous les preparatifs necessaires pour vostre voyage, vous avez beau vous informer des passages difficiles, si vous ne vous mettez en chemin, vous n’y arriverez jamais ; et comme il seroit ridicule de vieillir dans l’estude de chaque partie necessaire à un art qui embrasse tant de choses ; aussi de mettre la main à l’œuvre sans les sçavoir, ou bien apres les avoir trop legerement passées, c’est s’exposer à la risée des connoisseurs, et faire voir qu’on n’est guere sensible à la gloire. Plusieurs disent qu’il n’y a qu’à travailler pour devenir habile, et que la theorie ne fait qu’embarrasser l’esprit et retenir la main : ces gens-là font justement comme les escureüils qui tournent la roüe qui leur sert de cage ; ils courent bien vite, ils se lassent fort, et n’avancent point du tout. Il ne suffit pas pour bien faire d’aller viste (dit Quintilien), mais pour aller viste, il suffit de bien faire. C’est une méchante excuse de dire : Je n’y ay esté que tres-peu de temps. Cette belle facilité, ce feu celeste qui donne l’esprit à l’ouvrage, ne vient pas tant d’avoir souvent fait, que d’avoir bien entendu ce que l’on a fait. Voyez ce que je dis sur le 51. Precepte, qui est de la Facilité. Il y en a d’autres, qui croient les preceptes et la theorie absolument necessaires ; mais comme ils ont esté mal instruits, et que ce qu’ils sçavent les brouille plûtost qu’il ne les éclaire, ils s’arrestent souvent tout court, et s’ils font quelque ouvrage, ce n’est pas sans chagrin et sans peine : et dans la verité, ils sont bien plus dignes de compassion, qu’ils sont bien intentionnez ; et s’ils n’avancent pas tant que d’autres, et qu’ils demeurent quelque-fois tout court, je les trouve fondez en quelque sorte de raison ; car il est du bon sens de n’aller pas si viste, quand on se croit égaré, ou que l’on doute du chemin que l’on doit tenir. D’autres au contraire, estant instruits des bonnes maximes et des bonnes regles de l’art, apres avoir fait de fort belles choses, les gastent ensuite à force de vouloir mieux faire, et s’enyvrent tellement de leur ouvrage à force d’estre dessus, qu’ils se laissent tromper par l’apparence d’un bien imaginaire. [[1:Pline 35. 10]] Apelle admirant un jour le prodigieux travail qu’il voyoit dans un tableau de Protogene, et connoissant combien il avoit sué à le faire, fit que Protogene et luy estoient bien d’égale force, et qu’il luy cedoit même en quelque partie ; mais qu’il le surpassoit en ce que Protogene ne pouvoit se tirer de dessus son ouvrage, et disoit comme par un précepte qu’il vouloit que tous les peintres imprimassent bien avant dans leur memoire, qu’à force de chercher et de vouloir terminer les choses, on se faisoit souvent un prejudice tres-notable. Il y en a (dit Quintilien) qui ne se satisfont jamais, et qui ne sont pas contents de l’expression qui s’est rencontrée la premiere ; ils veulent tout changer, en sorte qu’on ne reconnoisse plus rien de leur première idée. On en voit d’autres (continuë-t-il) qui ne peuvent se croire eux-mesmes, ni se déterminer, et qui étant pour ainsi dire brouillés avec leur Genie, s’imaginent que c’est une loüable exactitude, que de former des difficultez dans son ouvrage ; et en verité c’est une chose assez difficile, de dire lesquels de ceux-là pechent plus griévement, ou de ceux qui sont amoureux de tout ce qu’ils produisent, ou de ceux à qui rien ne plaist. Car il est arrivé à de jeunes hommes, souvent mesme à ceux qui avoient le plus d’esprit, de le consumer et de le perdre dans la peine qu’ils se sont donnée, et d’estre tombez jusques dans l’assoupissement par le trop grand desir de bien faire. Voicy comment on doit se comporter en semblables rencontres. Il faut à la verité faire tout notre possible pour mettre les choses dans la derniere perfection ; mais neantmoins que ce soit selon nostre portée et selon nostre verve ; car pour s’avancer, il est bien vray qu’il faut du soin et de l’estude ; mais cette estude ne doit pas estre mêlée d’opiniâtreté ni de chagrin ; c’est pourquoy, si le vent nous est favorable, il y faut donner les voiles, et il arrivera quelque-fois que nous suivrons des mouvemens où la chaleur a plus de pouvoir que le soin et l’exactitude : pourveu que nous n’abusions pas de cette licence, et que nous ne nous y laissions pas tromper : car toutes nos productions nous plaisent au moment de leur naissance.

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

, p. 140-142

Aussi bien que les choses qui paraissent être faites avec cette facilité. Cette facilité attire d’autant plus nos yeux et nos esprits, qu’il est à presumer qu’un beau travail qui nous paroist facile, vient d’une main sçavante et consommée. C’est dans cette partie qu’Apelle se sentoit plus fort que Protogene, lorsqu’il le blâmoit de ne savoir pas retirer la main de dessus son tableau, et de consumer trop de temps à son ouvrage. Et c’est pour cela qu’il disoit hautement, Que ce qui portoit plus de prejudice aux peintres, estoit le trop d’exactitude, et que la plupart ne sçavoient pas connoistre ce qui étoit ASSEZ. Il est vray que cet ASSEZ est difficile à connoistre. Ce qu’il y a à faire, est de bien penser à votre sujet, et de quelle maniere vous le traiterez selon vos regles et à force de votre Genie, et ensuite de travailler avec toute la facilité et toute la promptitude dont vous serez capable, sans vous rompre si fort la teste, et sans être si industrieux à faire naistre des difficultés dans votre ouvrage. Mais il est impossible d’avoir cette facilité, sans posséder parfaitement toutes les regles de l’art, et s’en estre fait une habitude ; car la facilité consiste à ne faire precisément que l’ouvrage qu’il faut, et à mettre chaque chose dans sa place avec promptitude : ce qui ne se peut sans les regles, qui sont des moyens assurez pour vous conduire, et pour terminer vos ouvrages avec plaisir. Il est certain, contre l’opinion de plusieurs, que les regles donnent de la facilité, de la tranquillité et de la promptitude dans les esprits les plus tardifs, et que ces mesmes regles augmentent et dirigent cette facilité dans ceux qui l’ont déjà receüe d’une heureuse naissance. […] Remarquez, s’il vous plaist, que la facilité et la diligence, dont je viens de parler, ne consistent pas à faire ce qu’on appelle des traits hardis, et à donner des coups de pinceau libres, s’ils ne font un grand effet d’une distance éloignée. Cette sorte de liberté est plûtost d’un maistre à écrire que d’un peintre. Je dis bien davantage, il est presque impossible que les choses peintes paroissent vrayes et naturelles, quand on y remarque ces sortes de traits hardis : et tous ceux qui ont le plus approché de la nature, ne se sont pas servis de cette maniere de peindre. Tous ces cheveux filez et ces coups de pinceau qui forment des hachures, sont à la verité admirables : mais ils ne trompent pas la veuë.

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

, p. 111

Que l’on considere les lieux où l’on met la scene du tableau, etc. C’est ce que M. de Chambray appelle, Faire les choses selon le Costûme. Voyez ce qu’il en dit dans l’explication de de ce mot dans le livre qu’il a fait de la Perfection de la peinture. Ce n’est pas assez que dans le tableau il ne se trouve rien de contraire au lieu où l’action que l’on represente s’est passée : il faut encore le faire reconnoistre par quelque industrie, et que l’esprit du spectateur ne travaille pas à découvrir, si c’est l’Italie ou la Grece, la France ou l’Espagne ; si c’est auprès d’un fleuve ou au bord de la mer ; si c’est le Rhin, ou la Loire ; le Pô, ou le Tibre ; et ainsi des autres choses qui sont essentielles à l’Histoire. Nealce, homme d’esprit et peintre ingenieux, ayant à peindre un combat naval entre les Perses et les Egyptiens, et voulant faire voir que cette bataille s’estoit donnée sur le Nil, dont les eaux sont de la couleur de celles de la mer, il fit un asne qui buvoit au bord du fleuve, et un crocodile qui tâchoit de le surprendre.

Dans :Néalcès et le crocodile(Lien)

, p. 62-63

Ce qu’il y avoit de personnes considerables et d’illustre naissance dans la Grece, prirent un soin particulier durant plusieurs siecles de se faire instruire à la peinture, suivant une louable et utile coutume, dont le Grand Alexandre estoit l’auteur ; qui était d’apprendre à desseigner avant toute autre chose. Et Pline qui en rend témoignage dans son dixiéme chapitre du 35. livre dit encore parlant de Pamphile maistre d’Apelle, Que ce fut par l’autorité de ce prince, qu’à Sicyone premierement, et ensuite par toute la Grece, les jeunes gentilshommes apprirent avant toute autre chose à desseigner sur des tablettes de boüis, et que l’on donna à la peinture le premier rang parmy les arts liberaux. Et ce qui fait voir qu’ils estoient fort intelligens dans cet art, est l’amour et la considération qu’ils avoient pour les peintres. Demetrius en donna d’avantageux témoignages au siege de Rhodes. [[4:suite Protogène Ialysos]]

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, p. 151

Les qualitez, etc. Dans la verité il y en a bien peu qui ayent les qualitez que nostre autheur demande ; aussi y a-t-il bien peu d’habiles peintres. Il n’estoit autrefois permis qu’aux nobles d’exercer la peinture ; parce qu’il est à presumer que toutes ces qualitez ne se rencontrent pas ordinairement parmi des gens de basse naissance ; et l’on peut apparamment esperer que s’il n’y a point d’édit en France qui oste la liberté de peindre à ceux à qui la naissance a refusé un sang noble, du moins que l’Academie Royale n’admettra d’orenavant que ceux à qui toutes les bonnes qualitez et tous les talens necessaires pour la peinture tiendront lieu de naissance. Il est certain que ce qui avilit la peinture, et ce qui la fait descendre jusqu’à la bassesse des mestiers les plus méprisables, est le grand nombre de peintres qui n’ont ny esprit ny talent, et quasi pas mesme de sens commun. L’origine de ce grand mal est que l’on a toûjours admis dans les écoles de peinture toute sorte d’enfans indifferamment, sans les examiner et sans observer durant quelque temps s’ils sont conduits à ce bel art par la disposition de leur esprit et par les talens necessaires, plûtost que par une folle inclination ou par l’avarice de leurs parens, qui les mettent dans la peinture comme dans un métier qu’ils croyent peut-estre un peu plus lucratif qu’un autre.

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, p. 143

Tirez votre profit des gens doctes, et ne méprisez pas avec arrogance d’apprendre, etc. Parrhasius et Cliton se trouvèrent fort obligés à Socrate des avis qu’il leur donna sur les Passions. Voyez le dialogue qu’ils font ensemble dans Xénophon sur la fin du 3.l de ses Mémoires. [[4:suite : Apelle et cordonnier]]

Dans :Parrhasios et Socrate : le dialogue sur les passions(Lien)

, p. 63

[[4:suit Pamphile]] Et ce qui fait voir qu’ils estoient fort intelligents dans cet art, est l’amour et la consideration qu’ils avoient pour les peintres. Demetrius en donna d’avantageux témoignages au siege de Rhodes ; il voulut bien employer quelque partie du temps qu’il devoit aux soins de son armée à visiter Protogene, qui pour lors faisoit le tableau de Ialisus : Ce Ialisus (dit Pline) empescha le Roy Demetrius de prendre Rhodes dans l’apprehension qu’il avoit de brusler les tableaux, et ne pouvant par autre costé mettre le feu dans la ville, il ayma mieux épargner la peinture, que de recevoir la victoire qui luy estoit offerte. Protogenes avoit pour lors son attelier dans un jardin hors de la ville, tout proche du camp des ennemis, où il achevoit assiduëment les ouvrages qu’il avoit commencez, sans que le bruit des armes fust capable de l’interrompre ; mais Demetrius l’ayant fait venir, et luy ayant demandé avec quelle hardiesse il osoit ainsi travailler au milieu des ennemis ? Il luy répondit, Qu’il sçavoit fort bien que la guerre qu’il avoit entreprise, estoit contre les Rhodiens, et non pas contre les arts. Ce qui obligea le Roy de luy donner des gardes pour sa sureté, estant ravy de pouvoir conserver la main qu’il avoit ainsi sauvée de la barbarie et de l’insolence des soldats.

Dans :Protogène et Démétrios(Lien)

, p. 63

Demetrius en donna d’avantageux témoignages au siege de Rhodes ; il voulut bien employer quelque partie du temps qu’il devoit aux soins de son armée à visiter Protogène, qui pour lors faisait le tableau de Ialisus : Ce Ialisus (dit Pline) empescha le roi Demetrius de prendre Rhodes dans l’apprehension qu’il avoit de brusler les tableaux, et ne pouvant par autre costé mettre le feu dans la ville, il ayma mieux épargner la peinture, que de recevoir la victoire qui lui estoit offerte. Protogenes avoit pour lors son attelier dans un jardin hors de la ville, tout proche du camp des ennemis, où il achevoit assiduëment les ouvrages qu’il avoit commencez, sans que le bruit des armes fust capable de l’interrompre ; mais Demetrius l’ayant fait venir, et lui ayant demandé avec quelle hardiesse il osoit ainsi travailler au milieu des ennemis ? Il luy répondit, Qu’il sçavoit fort bien que la guerre qu’il avoit entreprise, estoit contre les Rhodiens, et non pas contre les arts. Ce qui obligea le roi de luy donner des gardes pour sa sureté, estant ravy de pouvoir conserver la main qu’il avoit ainsi sauvée de la barbarie et de l’insolence des soldats. [[4:suite : Apelle et Alexandre]]

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)

, p. 148

La peinture ne se plaist pas trop dans le vin, ny dans la bonne chère, si ce n’est, etc. [[1:Pl. 35. 10]] Pendant le temps que Protogène travailla à son Ialysus, qui estoit le plus beau de tous ses tableaux, il ne prit pour toute nourriture que des legumes [[1:Des lupins détrempez. Il y a dans l’original, Lupinos madidos.]] dans un peu d’eau, qui luy servoient de boire et de manger, de peur de suffoquer l’imagination par la delicatesse des viandes. Michel Ange ne prit que du pain et du vin à son disner tant que dura l’ouvrage de son Jugement universel : et Vasari remarque dans sa vie, qu’il estoit si sobre, qu’il ne dormoit que tres-peu, et qu’il se levoit souvent la nuit pour travailler, n’en estant point empesché par les vapeurs des viandes.

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)

, p. 67

Ces ouvrages antiques ont toûjours esté depuis leur naissance, la regle de la beauté. Et en effet, leurs auteurs ont pris un tel soin de les mettre dans la perfection où nous les voyons, qu’ils se servoient, non pas d’un seul naturel, mais de plusieurs dont ils prenoient les parties les plus regulieres pour en faire un beau tout : Les sculpteurs (dit Maxime de Tyr) [[1:Dissert. VII]] par un admirable artifice, choisissent de plusieurs corps les parties qui leur semblent les plus belles, et ne font de cette diversité qu’une seule statuë ; mais ce mélange est fait avec tant de prudence, et si à propos, qu’ils semblent n’avoir eu pour modele, qu’une seule et parfaite beauté. Et ne vous imaginez pas pouvoir jamais trouver une beauté naturelle qui le dispute aux statuës, l’Art a toûjours quelque chose de plus parfait que la Nature. Il est mesme à presumer que dans le choix qu’ils faisoient de ces parties, ils suivoient le sentiment des medecins, qui estoient pour lors bien capables de leur donner des regles de la beauté ; puisque la beauté et la santé se doivent ordinairement suivre l’une l’autre.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)

, p. 64-65

Si vous voulez prendre la peine de lire la Vie de ce fameux peintre[[5:Titien]] dans Ridolfi, vous y verrez tous les honneurs qu’il a receus de Charles-Quint ; il seroit trop long de vous en faire icy le détail : je vous diray seulement que les grands seigneurs qui composoient la cour de cet Empereur, n’ayant pû s’empescher de lui témoigner leur jalousie, sur ce qu’il préférait la personne et la conversation du Titien à celle de tous les autres courtisans, il leur dit : Qu’ils ne manqueroit jamais de courtisans ; mais qu’il n’auroit pas toujours un Titien avec luy. Aussi l’a-t-il comblé de biens, et quand il luy envoyoit de l’argent, qui estoit pour l’ordinaire une grosse somme, il luy témoignoit que son dessein n’était pas de payer ses tableaux, puisqu’il reconnoissoit qu’ils étoient sans prix ; à l’exemple des Grands de l’Antiquité, qui achetoient les belles peintures à pleins boisseaux de pièces d’or sans compte et sans nombre : In nummo aureo mensura accepit non numero, dit Pline parlant d’Apelle. Quintilien infere de là, qu’il n’y a rien de plus noble que la peinture ; puisque la pluspart des choses se marchandent et ont un prix : Pleraque hoc ipso possunt videri vilia quod pretium habent.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)